« Danser.
Je ne sais pas très bien à quoi cela tient un danseur. Pourquoi ni comment quelque chose en soi résiste au-delà de tout, au-delà des soucis d’argent, de la solitude, du sentiment d’incompréhension et d’inutilité qui parfois submerge, de la vanité de toute cette énergie consacrée à témoigner d’une certaine vision du monde, d’une exigence ou plutôt d’une soif qui exige en soi. Je ne sais pas. Je sais seulement que je ne peux faire autrement, parce que autrement pour moi, c’est mourir. Or, j’ai choisi la vie.
Je comprends si bien comment par lassitude ou épuisement, les uns après les autres abandonnent et se replient vers l’ordre de la mort. Je connais cet harassement et ce dégoût de la répétition qui vient sans cesse interroger la qualité de notre exigence et de notre dignité d’homme. Et pourtant, ce sont ces intimes fatigues qui vous conduisent progressivement vers la nudité nécessaire à partir de laquelle le vivant peut nous habiter.
Humblement, il m’arrive de perdre courage. Cependant la danse me redresse et me tient. C’est l’unique façon que j’ai de ne pas complètement échouer à tenir cette promesse qu’est la vie, témoignant ainsi de cet absolu à notre portée qui est celui non pas seulement d’être heureux, mais vivant.
Vous parlez comme quelqu’un qui a survécu à un traumatisme et vit uniquement pour témoigner m’a dit un jour un médecin.
Je témoigne de cet absolu, n’en finissant pas de survivre à ce traumatisme qu’est le monde. L’absence de sécurité intérieure où j’ai perpétuellement vécu, m’a « contrainte » à tisser cet incroyable espace spirituel qu’est la danse, où je peux m’en libérer .
Elle m’a permis de me construire sur mes propres ruines dont chaque fragment m’appartient. Je suis entrée dans le plaisir intense d’accéder à ma propre vérité. Je sais désormais à quel point la vérité rend heureux et que chercher la sienne c’est aussi dévoiler celle des autres.
Danser seul me donne la légitimité d’être.
Je n’en ai aucune autre.
Cette part inaltérable en moi, personne ne peut la posséder, y compris moi même, elle m’ouvre un accès continuel à la connaissance qui est, à mes yeux, un autre nom de l’amour »
Lorette Nobercourt (ici, le verbe « danser » vient remplacer le sien qui est « écrire »)