Les Burritos

F. a 6 ans.

Comme souvent, je ne sais pas en détail ce qui tracasse ces petits guides. Ils viennent sur l’atelier de danse thérapie et de conscience corporelle proposé par l’hôpital de jour, et répondent à une proposition intéressante de prise en charge holistique.

Je mets du temps à entrer en contact avec cette petite fille. Elle oscille entre débit de parole et mutisme qui rejette et signifie qu’elle ne veut pas. Lorsqu’elle ne veut pas, F. se braque, fait des petits pas jusqu’à se retrouver aculée au pied du mur en disant non et suçant son pouce. Je tente d’identifier les situations qui génèrent ce refus, cette impossibilité à entreprendre quoique ce soit ensemble. Certaines de mes demandes obtiennent une adhésion immédiate, d’autres amènent F. à se figer et signifier une peur qui émane de tout son être.

Je suis confuse à cet endroit.

F. a un doudou qu’elle me présente. Il est assigné à une chaise et ne doit pas bouger. Je tente maladroitement de l’inviter dans l’espoir qu’il créera le lien entre elle et moi, mais F. refuse. Doudou est là et veille.

Il y a des refus catégoriques et il y a des refus qui se diluent dans du pourquoi pas. La frontière est infime et je passe de nombreuses séances à observer F. afin de saisir celle où ça se dilue. Je m’abstiens très vite à lui formuler toutes demandes et dépose des propositions afin qu’elle les saisisse.

F. a 6 ans et déjà, elle sait qu’elle ne sait pas danser.

Constat.

Déjà!

Je reformule. F se braque. Elle sait qu’elle n’aime pas ça et elle sait qu’elle ne sait pas faire. Je vois toutes les conséquences d’une croyance si précocement installée à l’œuvre. C’est terrifiant. D’autant que je le constate également chez les ados aussi. Le mot « danse » est effrayant. Il induit une résistance dans le corps, dévoile l’estime que la personne à d’elle même et nous fait tirer de grandes conclusions.

Déjà.

Un seul mot a le pouvoir d’être empêchant.

Enfermant.

A lui seul, le mot « danse » peut affirmer que nous sommes « ridicules »…

Un seul mot et la croyance qui y est rattachée, ont ce pouvoir d’inscrire un mécanisme qui ne peut être que biaisé car toutes ces jeunes filles sont dans le mouvement et n’ont de cesse de créer.

Je m’oriente vers des séances supposées libres où je laisse F. découvrir tous les possibles avec des objets supports. Dans un premier temps, nous créons des histoires avec un ballon paille qui sera la métaphore du monde que l’on porte et dont on a le pouvoir de faire voyager. Ce monde, tantôt petit, tantôt immense pour ses petits bras, crée des formes limpides dans son espace proche mais aussi lointain, très lointain, lorsque F. décide de s’en débarrasser. Son corps se meut, sans cesse ; et les histoires qui y sont associées témoignent de la richesse de son imaginaire. Elle prend appui sur, virevolte, abandonne son corps, le laisse réagir. Il est ce lien inespéré qui structure et libère, qui permet un toucher qui se veut structurant pour son corps. Pour autant, elle s’ennuie vite, a du mal à se poser , tente différentes expériences sans les vivre véritablement.

Aujourd’hui, je propose à F. un foulard. Elle se replie, émet un non et dit clairement qu’elle n’aime pas. Je lui propose alors de prendre toute la poche qui en contient plusieurs et d’en faire ce qu’elle veut. F. s’émoustille instantanément et se dirige vers la poche. Elle les découvre tel un trésor et s’amuse de les voir voler, s’excite de ce désordre voulu pour finalement les mettre à plat anarchiquement dans l’espace. Nous prenons ce temps et j’observe F. dans cette minutie mais aussi la perspective que seule F. connait.

Elle prend le temps d’observer son œuvre et me propose de jouer aux Burritos. Je n’ai pas le temps de saisir ce que cela signifie qu’elle se place sur un tissu et s’enroule tel un burrito. Nous nous marrons des mouvements impossibles à réaliser pour nous déplacer, nous tentons l’expérience de rallier tous les tissus pour n’être qu’un seul burrito et nous apprécions le déploiement dont nous usons pour nous en débarrasser. Le jeu est sans fin, F. s’amuse à me figer telle une statue qu’elle charge de tissus et n’en peut plus de rire de voir ses statues momifiées en mouvement. Le mimétisme est un enchantement, nous varions les sensations tenues et celles relâchées en nous tractant à l’aide de ces précieux objets transitionnels que sont nos amis les foulards. Je savoure.

F. est sortie de son mutisme et me propose de rentrer dans son imaginaire. Elle a remplacé la parole par des rires et des formes corporelles et s’amuse à rassembler tous les tissus autour/sur/sous elle. Ses propositions dansées sont multiples, la musique nous entraîne et parfait cette bulle que F. vient de créer.

Au moment de clôturer cette séance, je lui propose une dernière mise en forme libre. Elle veut faire un ENOOOORME burrito en alignant tous les foulards. F. les dispose, son espace est structuré, l’ensemble est posé, réfléchi et élaboré. Elle a un projet et l’ennui n’a pas pu s’installer ce jour. Merveilleux.

Nous nous quittons sur le plus grand burrito géant du monde avec cette sensation d’être enfin « rassemblées « , un peu plus dans notre axe.

Merci magicienne F.

Pour aller plus loin…Les enjeux psycho corporels

F. présente un corps tantôt dispersé, qui ne tient pas en place dans la discussion, se met en mouvement, tourne sur elle même, tantôt en retrait excessif qui refuse toute communication ou engagement vers l’extérieur. Son corps se repli sur lui même, ses bras se posent en protection tendus devant son ventre, ses épaules s’enroulent et sa tête se baisse. On sent ici un manque d’harmonie entre sa faculté à se rassembler et sa disposition à se tourner vers l’autre avec un déploiement qui ne va pas de soi. La notion de rassemblement et de déploiement est abordé dans les schèmes de Bartenieff où l’équilibre entre le centre et la périphérie du corps est un point essentiel de nos réalités spatio-corporelles et par extension de notre être là. Il vient interroger notre individualité, à savoir notre adaptabilité à réagir aux différents stimuli de l’extérieur. S’y ajoute le concept de kinesphère, cette bulle malléable qui nous entoure et qui détermine l’ensemble de nos limites. Lorsque je me sens en sécurité, j’évolue aisément dans ma kinesphère qui peut facilement s’agrandir et dans laquelle je pourrais engager tout mon corps sans peur de me heurter à tout ce qui pourrait susciter une forme de repli. A contrario, (et pour vulgariser) lorsque je me sens agressée ou en danger, ma kinesphère peut être enfermante tant elle est proche de mon corps. Il y a une rétraction en défense de l’ensemble de mon corps.

Au niveau musculaire, G. D. Struyf aborde le rassemblement et le déploiement à travers les chaînes musculaires antéro-latérales (AL) et postéro-latérales (PL). Les éveiller ensemble permet de les harmoniser et ainsi nous évite d’être en excès dans l’une ou l’autre. « C’est par elles que l’enfant unifie les hémi-espaces droit et gauche, préalable indispensable à la constitution de l’axe « , Benoît Lesage; et se sentir aligné à son axe nous procure ancrage et sécurité, gageures de nos engagements, justes.


Typologies soutenues par les chaînes musculaires Antéro-latérales (AL) et Postéro-Latérales (PL)/ Benamou M. et Lesage B.2011 d’après Struyf G. « Les chaînes musculaires et articulaires » (SBORTM

Dans l’exemple de F., elle est soit l’une soit l’autre. Il y a peu ou pas de flux harmonieux entre les deux, elle bascule d’une réponse motrice à une autre et n’investit pas pour autant son corps. Les moments sont dispersés sans véritable cohésion, elle a du mal à se poser, rester dans son centre ; puis le déploiement vers l’extérieur jaillit, sans projet véritable et où ni l’espace ni son corps sont pour autant habités ou en cohérence avec ce qui se joue à ce moment là.

Cet exercice avec les tissus est un exemple précieux du cheminement vers lequel les chaînes AL et PL de F. se sont peu à peu équilibrées. On est passé d’un jaillissement de tissus, à une mise en forme progressive de ces derniers pour finalement les disposer dans l’espace avec un but précis. Entre temps, elle est passée plusieurs fois par le besoin de se rassembler en les regroupant tous au centre de la pièce ou en faisant « une piscine de foulards » dans laquelle elle pouvait se lover, s’y abandonner en toute sécurité.

Son récit moteur est d’autant plus intéressant que F. m’inclut dans son histoire et réagit à mes improvisations. Elle s’y adapte et les utilise pour se mettre en mouvement. Le récit est donc plus fluide, plus harmonieux et tourné véritablement vers l’autre, avec l’autre. F. est bien présente, dans une interaction adaptée. C’est une première dans nos séances où nous étions jusque là, soit en miroir soit en opposition, et où la fuite vers un ailleurs était constamment en latence. Se mouvoir et cocréer ensemble était jusque là compliqué., l’utilisation de ces objets supports l’ont rendu possible; F. était même déçue que nous n’ayons pas le temps de me faire expérimenter le burrito géant…

Une réflexion sur « Les Burritos »

  1. C’est génial cette expérience de Burritos ! C’est ta patience et ton écoute qui lui ont permis de sortir de sa carapace.Merveilleux.Continue comme ça.Dis moi quand est organisée la prochaine séance de Danse thérapie à Bayonne. ça me manqueA bientôtGilles

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