
D. est sans voix.
D. se retrouve dans cette situation paradoxale où elle est sans voix le jour où elle se décide enfin à parler.
D. raccroche.
Elle vient de parler 2h avec une amie d’enfance qu’elle n’a pas vu depuis plus de 30 ans.
D. est sidérée.
Encore
Elle utilise son temps à questionner le consentement et s’emploie à trouver les outils qui lui permettraient enfin de consentir à elle ; de trouver cet endroit du soi où l’on se sent suffisamment en phase pour être et permettre au soi d’exister sans dissonance.
Elle utilise l’ensemble de son énergie à cela, observer ces espaces où elle consent malgré elle et s’interpelle pour rectifier l’angle d’attaque (tiens…ne serait ce pas plutôt une approche ?…) toujours dans ce soucis exigent de congruence.
Elle remue alors ciel et terre pour répondre à ses besoins en prenant soin de les identifier, et ce n’est pas une paille comme ils disent !
Elle cherche le courage de les faire exister en posant ses limites et surtout en osant les affirmer, les prononcer, d’abord en les chuchotant, puis en trouvant suffisamment d’amour en elle pour les poser, simplement.
Elle a cette soif de ne plus participer à tous ces silences écrasants qui disent la honte, les non dits, ces petits cailloux qui destabilisent et défont le tableau que tout le monde souhaite parfait, sans vagues.
D. a bien compris depuis toute petite, qu’on ne veut pas entendre et surtout pas voir ; alors elle prend le 3° singe et s’incarne dans celui qui ne dira pas.
30 ans de silence.
Et puis le corps…son corps…
Il a voulu brûler toutes les étapes mais la vérité de son expérience l’a très vite rattrapée. Acculée, comme souvent, elle n’a pas eu le choix que de s’affronter à elle même.
D. pose un regard doux aujourd’hui sur ses blessures. Elle les a non seulement apprivoisées mais elle a su se créer une vie où elles ont toutes leurs places. Rien ne bouge. Tout est en place.
D. pense qu’elle a enfin trouvé son équilibre.
Son psy se poile : « un équilibre ?…vous êtes sérieuse ?!? »
« Oui »
Consentir à ce qui lui est arrivé revient à intégrer ses bouts de soi morcelés dans cette vie fragile.
Consentir au bancal.
Consentir au silence qui ne fera aucune vague
Consentir à ses troubles, l’incompréhension généralisée…
Consentir, accepter, trouver sa part responsable dans ce qu’il est advenu.
D. patauge et se mélange dans sa tête.
Alors elle continue de chercher.
D.souffre de troubles du comportement alimentaire, de multiples addictions, de trouble de l’humeur, d’anxiété ; Elle vit dans une vigilance permanente, se sent vite agressée, suffoque à la moindre situation sans issue, bondit de rage au moindre imprévu, pleure comme une enfant dès qu’elle se sent abandonnée ou rejetée, sursaute, envisage moults échappatoires pour assurer ses engagements, fuit le monde, se coupe d’elle même, de ses émotions, des autres… c’est selon….
C’est épuisant.
Donc, oui, D consent à se trouver une vie autour de tous ces troubles qu’elle a bien identifié car elle sait aujourd’hui comment ne pas les réactiver.
Dans une expérience immédiate, la danse lui permet d’engrammer des réponses motrices, autres que la fuite, la lutte ou la sidération. En lien direct avec son cerveau reptilien, elle sait aujourd’hui que la danse interpelle ces mécanismes de réponses et qu’elle peut avec la répétition y placer une autre forme de posture.
Cadeau merveilleux.
Elle peut alors se nourrir des richesses de la rencontre et du processus de création. Que ce soit le souffle, le mouvement ou le toucher, elle se familiarise avec ces trois outils pour découvrir en elle une autre façon d’être au monde.
C’est salvateur.
D. s’investit corps et âme dans les mécanismes du corps et du cerveau afin d’y trouver des réponses que seul le mouvement peut offrir.
Elle en fera son métier.
Pour autant, D. est aujourd’hui sidérée.
Encore.
Elle vient de parler deux heures au téléphone avec son amie d’enfance qu’elle n’a pas vu depuis 30 ans.
La puissance du consentement passe en boucle et se répète dans sa tête.
Son consentement et Le consentement.
Pendant 30 ans, elles ont toutes les deux consentis au silence, la peur de dire. Elles ont choisi une dépersonnalisation, une perte du soi au lieu de trouver dans la voix commune la force de dénoncer.
Combien sont elles ?
Et puis il y a cette mélodie qui tourne et qui apaise : « ça a existé ».
Ca, elle le savait.
Mais la voix de son amie offre cet espace qu’elle n’a eu de cesse de chercher, celui de sa propre légitimité.
D. a été violé pendant une année entière par l’instituteur de Cm2, le directeur de l’école à qui elle devait monter tous les midis ses repas.
D. avait 10 ans.
A plus de 40 ans aujourd’hui, elle se bat encore avec son démon et les conséquences de sa mémoire traumatique qui tente d’ouvrir une brèche dans sa mémoire actuelle.
Cela se manifeste par des flash backs, des situations impromptues où une image un son ou une odeur déclenchent une dissociation corporelle et réactivent ses troubles du comportement alimentaire, son anxiété, mais aussi toute la panoplie en lien avec les sensations de l’intrusion, puis de l’évitement et de la fuite, entre autres…
D. n’est jamais au repos.
A force de travail sur soi et de mouvements dansés, elle parvient à transmuter l’idée qu’elle se faisait du consentement.
Elle n’est jamais au repos car D. est en quête de trouver tous les moyens de consentir à elle même ;
Et cela passe à présent par le respect de soi.
Se reconnaître dans son entièreté et s’accepter dans son entièreté.
D. ne veut plus consentir au silence.
Elle en a fait son combat auprès de ceux qu’elle aime et s’en veut de ne pouvoir offrir à son tour ses cohérences.
D. a besoin de faire entendre sa voix et cherche comment la société pourrait réparer.
En attendant, D. danse.
Elle danse et tente de partager sa résilience…
Car sans résilience, le malheur se répète.
Pour aller plus loin et comprendre les enjeux et conséquences d’un traumatisme. Je ne peux que vous recommander la lecture du livre de Bessel van der kolk, Le corps n’oublie rien : le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme. D’une grande accessibilité à toutes personnes hors corps médical, il apporte un éclairage nécessaire et réparateur pour toutes personnes ayants vécus un traumatisme mais aussi pour leurs familles souvent démunies à cet endroit, ce qui permet une meilleure compréhension/acceptation/amour pour nos êtres chers.