– « Non mais vas y ! Quand je vais raconter à mes potes qu’on a marché et qu’on s’est allongés comme ça avec la musique au milieu des oiseaux, ils vont rien comprendre ! »
– « Mais noooonn ! Regarde ! C’était trop bien ! Moi avec ma tête tout à l’heure je devenais fou et regarde là, c’est plus pareil, j’ai plus de tensions ! »
– « Mais j’m’en fouts moi ! Je veux les garder me s tensions ! J’ai pas besoin d’être détendu si j’suis pas chez moi ! Et puis ça va, j’passe ma vie dehors, j’viens pas au lycée pour être dehors et marcher une heure ! »
– « Houai mais r’garde, moi aussi je zone tout le temps, mais là dehors on fait pas les mêmes choses, on va dans des endroits qu’on connaît pas, tu respires, tu deviens plus fou ! »
– « Houai mais moi j’croyais qu’on allait travailler, qu’on ferait des trucs chelous mais en restant en classe ! »
Il est 15h30. Je suis avec F., K. et T. Nous quittons la plaine d’ Ansot que nous avons ralliée à pieds depuis le Lycée Paul Bert. Nous avons tenté en vain d’observer les oiseaux avec des jumelles depuis la cabane d’observation. Une fois posés là bas, K. et T., qui me connaissent, se sont mis en état de relaxation et m’ont demandé de mettre la musique. 25 minutes de détente et de respiration. Une rupture nette dans leur quotidien, un relâchement instantané de leurs corps. F. ne dit rien et se laisse embarquer par le mouvement du groupe.
F. K. et T., ont intégré le Pôle Relais Insertion du lycée Paul Bert. C’est une classe relais pour les 16/18 ans en rupture sociale et scolaire. Ils sont 8 à 12 afin de bénéficier d’un accompagnement individualisé et envisager une (ré)orientation scolaire ou professionnelle. Le fonctionnement est innovant, centré sur les besoins de ces adultes en devenir. C’est ainsi qu’ils m’ont contacté, convaincus qu’un travail sur le corps leur serait bénéfique.
J’ai de suite accepté, consciente de la difficulté que cela représenterait au vue de cette période délicate qu’est l’adolescence mais le projet est beau en soi et s’inscrit sur le long terme.
Mes premières séances avec eux sont chaotiques. Nous cherchons ensemble une fluidité, un sens à mettre sur les bénéfices de mes interventions. J’évite de leur dire que nous allons danser de peur que cela les refroidisse d’emblée. Je sens plus que jamais, l’importance du lien et ce besoin d’être en relation de confiance avant d’oser entreprendre quoi que ce soit avec leurs corps. Nous bénéficions d’une salle au dojo de Lauga. La marche du lycée à cette salle est un temps nécessaire, une sorte de pré-échauffement, un changement d’état qui nous permet aussi de nous apprivoiser par l’échange, des discussions de rien.
Très vite (trop), j’ai tenté de les amener dans mon univers du mouvement et de sa symbolique. Si je les sentais tous prêts à y adhérer, les regards posés des uns sur les autres à été une barrière infranchissable. Le regard de l’autre à cet âge là est dévastateur. Tac. Ils s’arrêtent en plein effort, ces pairs d’yeux sont bien trop intrusives. Avec cela le malaise s’installe et la tension monte. Je suis déstabilisée et sors de ma ligne, en essayant de (trop) prendre en compte leurs réflexions. Trop tard. Je me suis engouffrée dans cet endroit où il est parfois difficile de sortir : je n’ai pas respecté ma ligne, j’ai perdu foi en mon intervention. Du coup, ça flotte ; je me laisse envahir par les petites voix qui me rappellent que je suis en plein échec.
La deuxième séance offre une respiration. Des exercices à 2, de massage et de guidance semblent les amuser. Ils me donnent la musique sur laquelle ils souhaitent se mouvoir. Un son speed-core envahit la salle. Pulsations comprises entre 200 et 500 BPM…je suis généralement entre 60 et 180… Je me marre. Ok. Allons y, curieuse de voir à quoi et comment répond un corps sollicité par 500 BPM. Nous rigolons ensemble et tentons d’y inclure quelques fondamentaux de la danse au niveau de l’espace et de la qualité du mouvement. Ainsi, après ce grand défouloir, nous enchaînons avec du Rap aux paroles douteuses et bien énervées. Je m’en saisis pour ouvrir une discussion sur la colère justement…et nous en venons naturellement à aborder le pourquoi de leur présence au PRI, leurs ressentis sur ce qu’ils vivent et leurs absences d’attentes.
Leçon supplémentaire.
Quelle place faire à ces jeunes qui pensent et sentent différemment ? Comment leur donner suffisamment d’amour pour ne pas douter d’eux mêmes si tout autour d’eux s’accorde à leur montrer cette différence ?
C’est un cri magnifique du droit à la différence, de ne pas rentrer dans le moule des apparences, de pouvoir être accepté même si le groupe nous fait peur, même si on ne s’éclate pas en soirée par refus de boire ou de fumer. C’est un questionnement sans fin sur le système scolaire qui privilégie les « adaptés » et qui se trouve en échec face à tous ces êtres sensibles qui sont très tôt en quête de sens et qui ne trouvent pas leur place.
Nous clôturons notre séance par un temps de relaxation et je suis surprise de voir qu’ils y entrent très facilement.
Le lien est fait.
Nous profitons de nos séances pour sortir et marcher, le long de l’Adour, en direction de Space Junk qui expose sur les Supers Héros, en ville et toujours, nous trouvons un banc où nous poser et aborder qui ils sont. On finit ces temps de rencontre par un temps de relaxation à leur demande et peu à peu, j’en profite pour y ajouter 2,3 phrases chorégraphiques sous couvert de détente, et peu à peu, leur corps leur apparaît avec ses bobos, ses envies, ses besoins, ses forces.
Une fois de plus, je remarque ce va et vient corporel entre la forme prise au départ et celui qu’il devient après ces 3h….j’observe avec amour ces corps repliés qui finissent par se déployer. Leur visage est détendu, les voix sont plus douce et le débit de parole plus calme. Le nombre de gros mots et les excès de « rage » diminuent considérablement, nous sommes contents de nous quitter ainsi.
Prochain rdv direction la playa…marcher et se mouvoir dans les éléments.